L’entretien que nous publions ici n’a pas été retenu par un journal au motif qu' »il ne correspondait pas à sa ligne éditoriale ». Accordé en date du 03 juin 2025, nous avons fait le choix de le rendre public, dans son intégralité et sans retouches, car nous estimons que la liberté d’expression ne saurait être conditionnée par l’adhésion à une grille de lecture unique. Le pluralisme des idées est une richesse, pas une menace. À chacun de se faire son opinion.
1-Comment va le RCD au niveau interne et dans ses rapports avec les autorités ?
Le RCD est plus fort que jamais et reste fidèle à son socle idéologique : une Algérie républicaine, démocratique et souveraine. En interne, malgré les restrictions et la répression, le parti maintient une activité politique rigoureuse, avec des organes solides, une vie statutaire respectée et une structuration, malgré les entraves administratives et politiques, sur une bonne partie du territoire national.
Avec les autorités, le RCD est contraint à une confrontation permanente, non pas par posture, mais par exigence. Le pouvoir ne tolère ni autonomie politique, ni critique rationnelle. Nos bureaux sont harcelés, nos militants poursuivis, nos actions bloquées. Cela témoigne d’un système qui redoute toute voix alternative. Le RCD ne cherche pas la confrontation pour elle-même, mais il refuse de pactiser avec un régime qui nie le droit à la parole libre.
2. Quelle évaluation faites-vous de la situation politique en Algérie ?
La situation politique est marquée par une régression autoritaire dangereuse. Le pays est gouverné par décrets, dans l’opacité, sans débat national, sans contrepouvoirs. L’instrumentalisation de la justice, le musellement des médias, l’arrestation de militants pacifiques ont remplacé le dialogue politique.
Mais plus grave encore, cette fermeture du champ politique coïncide avec une période de tensions géopolitiques majeures à nos frontières. Le pouvoir est absorbé par sa propre survie alors que l’Algérie a besoin d’une refondation républicaine pour faire face aux défis stratégiques. Un État fort ne se décrète pas : il se construit par le dialogue, la légitimité populaire, l’État de droit et la souveraineté réelle.
3. Quelles approches aura le parti quant aux prochaines échéances électorales ?
Le RCD est né pour prendre le pouvoir et pas pour servir d’alibi démocratique. L’Algérie doit sortir des simulacres électoraux. Les élections ne sont pas une fin en soi : elles doivent traduire une volonté populaire dans un cadre équitable. Or, aujourd’hui, tout est verrouillé : l’ANIE est inféodée, les partis du pouvoir recyclés, les médias publics monopolisés.
Le parti plaide pour une transition politique réelle qui redonne au peuple la parole et le droit de choisir librement ses représentants. Le minimum de garanties institutionnelles et politiques doit être rétabli. Le RCD est prêt à se réengager dans le jeu électoral, mais sur la base de principes, pas d’illusions, comme l’exigent souvent les instances du parti qui tranchent sur ces questions.
4. Quels reproches faites-vous à la politique nationale ?
Le RCD dénonce une gouvernance centrée sur le court terme, dépourvue de vision stratégique. L’État continue de fonctionner sur des logiques de rente, de distribution clientéliste et de gestion autoritaire des conflits sociaux. Aucun secteur — santé, éducation, justice, économie — n’est épargné par l’improvisation.
Mais au-delà de l’échec de gouvernance, le problème est existentiel : l’Algérie ne se pense plus comme une nation tournée vers l’avenir. Le pays est en panne de projet. Le pouvoir confisque l’intelligence collective et écarte les compétences. Il faut réhabiliter l’idée même de politique au service de l’intérêt général.
5. Pensez-vous que la situation économique algérienne et les choix du gouvernement sont appropriés ?
La rente pétrolière connaît une embellie conjoncturelle mais pas souvent, et elle ne doit pas masquer la réalité : l’économie algérienne est structurellement vulnérable. Le tissu productif est marginal, l’investissement privé est découragé et l’exportation hors hydrocarbures reste dérisoire.
Le gouvernement mène une politique de dépenses sans réforme. Il distribue sans transformer. Il communique sans réformer. Il n’y a ni politique industrielle, ni politique agricole, ni politique de formation cohérente. Pendant ce temps, des puissances étrangères s’insèrent dans notre économie : les pays du golfe, les Turcs, les Chinois, les occidentaux occupent des segments entiers de marchés stratégiques sans contrôle transparent et souvent sans véritable valeur ajoutée à notre économie.
6. Quelle est votre évaluation des relations algéro-françaises ?
Les relations avec la France sont fluctuantes, émotionnelles et souvent instrumentalisées. Le pouvoir utilise l’histoire coloniale comme une ressource politique pour détourner l’attention des crises internes. Cette approche est contre-productive. Mais aussi, ces derniers temps, l’extrême droite française et les luttes de pouvoir en France ont sérieusement piégé nos relations.
Le RCD défend une relation adulte avec la France : basée sur la reconnaissance des crimes coloniaux, mais aussi sur la construction d’un partenariat équilibré dans les domaines économique, culturel et migratoire. La diaspora algérienne en France doit devenir un atout stratégique, pas une variable diplomatique.
7. L’Algérie a-t-elle raison dans sa manière de traiter avec la France ?
Non. L’Algérie officielle adopte une diplomatie à géométrie variable, entre hostilité ostentatoire et tractations discrètes. Cette contradiction affaiblit notre position. On ne construit pas une diplomatie solide sur le ressentiment ou la dépendance.
La France reste un partenaire de premier plan sur le plan historique, économique et culturel. Le bon sens stratégique commande de traiter avec Paris de manière claire, souveraine et sur la base d’intérêts réciproques bien définis.
8. Quelle serait la meilleure approche pour gérer la relation avec l’État français ?
Il faut sortir de la logique de confrontation stérile ou de dépendance honteuse. La meilleure approche consiste à assumer notre histoire, tout en avançant sur des dossiers stratégiques : économie, émigration, climat, éducation, énergie, sécurité régionale.
La France doit aussi comprendre que le partenariat ne peut être sincère tant que l’Algérie est gouvernée par un régime opaque. C’est en reconstruisant une légitimité interne que l’Algérie pourra peser réellement dans la relation bilatérale.
9. Comment évaluez-vous les récents développements au Sahel et la réaction de l’Algérie ?
La situation au Sahel est explosive. Effondrement des États, retour des régimes militaires, implantation croissante de la Russie via le groupe Wagner, rôle grandissant des Turcs et des Émirats dans les sphères sécuritaires. L’Algérie, pays-pivot de la région, reste en retrait.
Le pouvoir algérien est paralysé, incapable de porter une stratégie de stabilisation régionale. Il ne suffit pas de proclamer notre neutralité : il faut bâtir une doctrine sahélienne claire. Le RCD appelle à renforcer la diplomatie régionale, à réinvestir les espaces africains par la coopération et à affirmer notre rôle de puissance stabilisatrice, non de spectateur.
10. Quel est votre avis sur la politique étrangère algérienne ?
Notre politique étrangère souffre d’un déficit de stratégie, de constance et de transparence. Elle est souvent réactive, symbolique ou alignée sur des alliances tactiques. On oscille entre non-alignement proclamé et alignements implicites. Aujourd’hui, la Russie, la Turquie, les Émirats avancent leurs pions au Sahel, en Libye, et même dans notre sphère économique. L’Algérie ne doit pas devenir un simple terrain d’influence, mais un acteur autonome, avec des choix souverains fondés sur ses propres intérêts.
11. Croyez-vous que l’Algérie est réellement ciblée ?
Oui, l’Algérie est de plus en plus exposée. Non pas par un « complot international » comme le prétend le discours officiel, mais par les recompositions géopolitiques à nos frontières. Le chaos libyen, la poussée djihadiste au Sahel, la pénétration de puissances étrangères dans nos zones d’influence naturelles doivent alerter.
Mais l’Algérie ne peut faire face à ces défis si elle reste repliée sur elle-même, gouvernée sans légitimité, sans consensus national. Le meilleur rempart contre les ingérences, c’est un État fort, démocratique, avec une armée républicaine et une diplomatie lucide. Le véritable danger, c’est l’immobilisme intérieur. »