En matière de culture, l’Algérie a tout subi : le refoulement, le reniement, l’aliénation et la négation de soi. Au processus d’acculturation entrepris par le colon est venu s’ajouter après l’indépendance celui du projet de dépersonnalisation plus structuré. La « révolution culturelle » étant un chantier d’aliénation idéologique, de mutilation identitaire et de falsification historique.
Une entreprise d’occultation de l’histoire et de remise en cause de pans entiers de la culture sociale qui, en d’autres temps, avaient servi de repères, de ciment et d’instruments de résistance contre les occupants de tous bords n’a pas cessé de hanter les tenants d’un arabo-islamisme sectaire et populiste.
Le pouvoir politique a imposé « l’unicité » au détriment de la diversité culturelle ; unicité idéologique d’abord qui devait conditionner toutes les autres, dont le nivellement culturel n’est pas le moindre des avatars de l’Algérie indépendante.
Les mutations mises en œuvre au nom de cet arabo islamisme réducteur et d’un socialisme spécifique fait d’amalgames et d’approximations ont sevré l’Algérie de son patrimoine historique et identitaire, de ses langues, de sa capacité à s’adapter et à innover, de ses possibilités multiples, en un mot de son génie propre.
Les dégâts ont été d’autant plus importants que les moyens mis à contribution furent les armes redoutables de l’école, des médias publics (radio, télévision, journaux…), de la mosquée confisquée par le parti unique, l’administration au service exclusif du régime, en somme les moyens d’une communication de masse au profit d’une culture dirigée et d’un formatage en règle. L’action du pouvoir politique a fait perdre l’essentiel au pays : son âme et son génie propres.
Et ce n’est pas en faisant écouter l’hymne national tous les matins dans les établissements scolaires, tous cycles confondus, en procédant à la levée des couleurs qu’on apprendra aux jeunes Algériens à aimer leur pays, à être citoyens et à découvrir ce qu’ils sont ! Le fossé entre l’illusion d’un mythe arabo-islamique et la résonnance des racines ne peut absorber la jeunesse qui veut d’abord vivre son temps sans rien renier de son environnement.
Les entités culturelles et morales ont été profondément dénaturées. L’on n’a pas voulu transmettre l’essentiel, l’héritage multiple fondé sur l’échange, la solidarité, le dialogue, le sens de l’équité et la liberté, valeurs véhiculées par l’organisation sociale de nos ancêtres, au nord comme au sud. Ces capacités ayant été ignorées ou perverties, l’on a fait place à « la violence »à tous les niveaux de la société comme unique moyen d’expression. C’est que l’on a stérilisé les potentialités créatrices, affaiblissant toute forme de propositions constructives.
Nos jeunes ont été sevrés dès le primaire. On a voulu en faire des enfants monolingues et rétifs, aux horizons rétrécis, cisaillant leurs rêves à la naissance, les préparant à un futur figé dans les mythes, à une vie de résignation et finalement à un destin d’invalides. Coupés de la mamelle nourricière du vrai savoir, livrés aux laboratoires des Frankenstein de tous bords, délestés de la dimension universelle de l’homme et de la culture, nombre de ces jeunes sont devenus des mutants, sans volonté ni esprit critique, endoctrinés, entrainés dans une catastrophe dont on tarde à mesurer les dégâts. D’autres s’embarquent pour un ailleurs mythique, fuyant la misère et le désespoir, empruntant un chemin de traverse où la mort et l’oppression attendent le plus grand nombre.
Il est indispensable, pour que l’Algérie redécouvre la voie du progrès, de libérer le citoyen, de promouvoir l’intelligence, de dynamiser le secteur de la culture dans tous ses aspects. Il ne s’agira plus de « faire » du folklore, engloutissant des sommes faramineuses dans des festivals et des événements factuels et démagogiques comme le festival panafricain des danses… », « Alger, capitale de la culture arabe », « Tlemcen, Constantine capitale de la culture islamique » etc.
Il va de soi que la cohésion nationale passe inévitablement par l’effectivité de la reconnaissance de Tamazight, qui est à la fois un signe et un objectif démocratiques, qui peut préfigurer de la fin de la falsification de l’histoire et du déni de l’identité culturelle du pays.
Le patrimoine culturel doit cesser d’être perçu comme une menace et sacrifié, occulté et dissimulé. Il doit être rendu à sa fonction de matrice de la mémoire, de l’histoire et de l’identité. C’est l’ignorance des repères historiques et des motifs réels de fierté communautaire qui a fait de la jeunesse algérienne une population sans ancrage, s’identifiant à tout sauf à elle-même, victime du plus périlleux des fléaux : la haine de soi. La consécration, même tardive, de Yennayer doit être suivie d’une véritable réappropriation de notre histoire millénaire.
L’Etat doit :
- réaliser un plan audacieux de développement des structures culturelles pour compenser l’immense déficit accumulé depuis l’indépendance en matière d’infrastructures de cinémas, de théâtres et salles de concerts, bibliothèques, conservatoires, etc.… ;
- lever le monopole sur les moyens de production et de diffusion culturelles et les médias ;
- favoriser l’expression libérée et le débat public et abandonner toute contrainte sur la production culturelle ;
- Repenser la politique du livre par le soutien des pouvoirs publics. Sa fabrication comme son importation doivent être exonérés de toute imposition. Les jeunes auteurs doivent être stimulés par des aides à l’édition et à la diffusion ;
- déclarer les outils pédagogiques comme des produits de première nécessité ;
- encourager la recherche en matière de culture, d’art et d’histoire et l’affranchir de toute forme de censure et de dirigisme ;
- réhabiliter et encourager la production théâtrale et cinématographique, dans les régions comme au niveau national, dans les langues algériennes ;
- encourager le mouvement associatif culturel ;
- dynamiser l’activité des musées et valoriser les sites afin de les extraire de leur léthargie pour devenir des lieux de rayonnement et de diffusion de la connaissance, de la culture et de l’histoire ;
- recouvrer et protéger le patrimoine archéologique et architectural national tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ;
- revaloriser le patrimoine immatériel national et les savoirs faire populaires ;
- redonner sa place à l’Histoire dans le cadre d’une école rénovée et orientée vers la connaissance, l’ouverture, la rationalité et le développement de l’esprit critique ;
La reconnaissance de Tamazight comme langue officielle aux cotés de la langue arabe est une avancée et, elle peut permettre de lever les ostracismes qui freinent la mise en place d’une véritable dynamique de développement en permettant de concentrer les énergies patriotiques en vue de mobiliser notre peuple pour les taches de construction d’une économie prospère. Introduite dans la Constitution en ces termes : ″tamazight est également langue nationale et officielle″, l’avancée se présente, dès le départ, comme une opération douteuse. La langue amazighe doit être protégée contre toute tentative de minoration politique ou juridique. En plus d’être un vecteur de communication sociale, elle doit être aussi désormais une langue dans laquelle s’expriment les Pouvoirs publics en direction des ressortissants de l’Etat national. Elle doit passer du statut de langue enseignée à celui de langue d’enseignement.
Le rassemblement milite pour la promulgation d’une loi organique qui fixe la mise en œuvre du caractère officiel de Tamazight et les modalités de son intégration dans l’enseignement, les médias, l’administration et les domaines prioritaires de la vie publique et institutionnelle en vue de lui permettre de remplir à terme sa fonction de langue officielle.
Le Rassemblement milite pour l’enseignement de la langue et de la culture amazighes aux enfants algériens résidents à l’étranger au même titre que l’arabe, ce qui témoignera de la reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle de notre pays.