Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Bonjour et bienvenus
C’est toujours avec un immense plaisir que je m’adresse à vous à l’occasion de nos sessions du Conseil National, c’est à dire des réunions de la direction du parti entre deux congrès. Je souhaite à toutes et à tous une bonne et heureuse année 2020.
Yennayer ameggaz à vous et à vos familles.
Nous avons vécu une année 2019 marquée par un extraordinaire élan et une volonté inébranlable de se libérer d’un système autoritaire et corrompu et de dégager la bande mafieuse qui a spolié, en 1962, la victoire du peuple Algérien sur la France coloniale. Le mouvement populaire enclenché en février dernier par la jeunesse algérienne a isolé le régime et révélé au grand jour la nature du système politique : un autoritarisme prédateur et usurpateur de la souveraineté du peuple. Il nous appartient, à nous tous et à toutes les forces et organisations qui luttent pour les libertés individuelles et collectives, une justice indépendante et la souveraineté populaire de rechercher l’union la plus large pour faire aboutir ce projet, largement partagé par les citoyens, au moyen d’une transition démocratique et pacifique.
Nous sortons de deux décennies d’un règne chaotique et de gestion calamiteuse faite de prédation, de marginalisation des compétences, de népotisme, de régionalisme et des assassinats politiques de citoyens, au grand jour, dans une impunité totale. Vingt ans durant, le mépris a prévalu et les institutions de l’Etat ont été privatisées. Rien ne devait rester autonome, le contrôle social ne se limitait pas à des subventions aussi couteuses qu’inefficaces, les zaouïas et les organisations rentières chantaient les louanges du dictateur, à cout de milliards, et la décision économique était squattée au bénéfice de la corruption et du détournement des biens publics. La destruction de l’incarnation de l’Etat est allée plus loin, la gestion de l’ordre public a même été sous-traitée par moment à la baltaguia, comme ce fut le cas pendant les événements de Ghardaïa ou encore lors de la marche historique du 14 juin 2001.
La multiplication des groupes d’intérêts et de groupes de pression occultes qui ont phagocyté les institutions de l’Etat et bafoué les règles les plus élémentaires du droit a conduit à une prise en otage de l’État algérien et à la confiscation des richesses du pays. La connivence entre les hommes du pouvoir et le monde mafieux n’a jamais été aussi flagrante.
Les premières semaines qui ont suivi le début de l’insurrection du peuple ont été marquées par des révélations fracassantes sur la corruption des dirigeants officiels, leurs accointances dans certains cas avec le monde de la drogue, voire du crime et les fortunes colossales amassées illégalement. Ces forfaitures renseignent, on ne peut mieux, sur le degré de déliquescence de l’État. Nombre d’experts dans le domaine de la délinquance financière estiment que « nous n’avons rien vu encore, le tsunami est à venir ». Mais à ce jour, rien n’a encore fuité sur leurs ramifications dans les pays occidentaux, moyen-orientaux et les paradis fiscaux.
Jusque-là, le commandement militaire, en contrôlant et en étouffant la justice empêche cette dernière de convoquer, devant les tribunaux, l’ex chef de l’État, véritable chef d’orchestre de la mise au pas des institutions et de la politique de dislocation du pays. Ce procès permettrait l’identification et le jugement de tous les responsables compromis dans cette entreprise « d’atteinte à la sécurité et la continuité de l’Etat et de complot contre le pays »
Chers amis
Pour toutes ces raisons, le mouvement populaire ne peut se suffire de réformes squelettiques ou de ravalement de façade sans une rupture effective avec le système politique en place et le renvoi de tous ses symboles. Le mouvement populaire en cours est la quintessence des confluences des luttes démocratiques et sociales ainsi que des aspirations populaires à construire un Etat qui protège le pays et les citoyens et qui promeut le mérite. C’est de ces considérants que découle notre intervention pour aider à l’avènement d’une ère nouvelle faite de démocratie et de justice. Le RCD n’est pas n’importe quel parti ; nous sommes une organisation qui a fait des luttes politiques pour l’instauration d’un système démocratique, dans lequel l’égalité en droits de tous les Algériens indépendamment de leur lieu de naissance, de la couleur de leur peau ou de leur sexe, aux cotés des libertés individuelles et collectives, un principe cardinal. Le RCD a vocation d’être un parti national. Il milite pour la refondation de l’Etat national. Il n’est candidat à aucune espèce de représentation régionale, carburant de la pérennité du système politique qui a toujours piégé l’Algérie.
Le pouvoir réel ne s’est pas trompé en ciblant, dans les arrestations, massivement nos militants et les activistes qui se reconnaissent dans notre action. Tout en refusant que ces détenus-otages fassent l’objet d’une monnaie d’échange contre l’assouplissement de nos positions, l’ensemble des avocats du parti et, au delà, se sont mobilisés de manière exemplaire pour défendre tous les détenus et déconstruire publiquement les accusations infondées pour lesquelles ils ont été incarcérés. Aujourd’hui que la plupart d’entre eux ont été libéré, certains en purgeant leur peine injustement infligée et pour d’autres grâce à la pression populaire qui n’a jamais baissée, le RCD milite et exige la réhabilitation politique et l’indemnisation de tous les détenus d’opinion.
Du haut de cette tribune, je tiens à saluer l’engagement, le courage et la dignité dont ces otages ont fait preuve tout au long de leur détention. Ils sont les dignes filles et fils de tous les hommes libres qui ont combattu et refusé de vivre asservis dans leur propre pays. J’exprime, au nom de tous notre reconnaissance et notre fierté qu’ils soient des nôtres.
Pour être un acteur engagé et un vecteur de la cohésion populaire dans une situation qui ne manque pas de complexité, un parti doit communiquer avec le corps social, décliner les objectifs à atteindre et sérier les voies possibles à emprunter. En un mot, si nous ne sommes pas en arrière du mouvement, nous ne devons pas, non plus, nous situer plusieurs pas en avant, au risque de ne pas être compris et suivi.
Nous avons fait l’objet d’attaques des uns, pour notre engagement à faire partir le système et remettre les destinées du pays sur les rails de la souveraineté populaire et, des autres, pour notre refus d’être instrumentalisés dans un radicalisme verbal suicidaire pour le parti et le mouvement. Je ne voudrai pas revenir sur les insultes et les procès d’intention contre des militants dévoués au parti et aux résolutions de notre dernier congrès.
Depuis que je suis à la tête du parti, j’ai veillé à ce que toutes ses structures statutaires fonctionnent dans la transparence et que toutes les décisions soient prises par qui de droit. Le débat libre auquel je n’ai cessé d’appeler dans toutes nos réunions est pour moi la condition sine qua non pour homogénéiser notre compréhension politique, renforcer nos rangs et rendre efficace notre intervention.
Chers amis,
Dans mon intervention d’aujourd’hui je ne peux pas aborder tous les débats qui ont marqué ces derniers mois. Présentement, Il y a certains qui veulent donner une représentation au mouvement dont le pouvoir lui-même, d’autres prônent la désobéissance civile ou l’internationalisation comme solution, d’autres encore estiment que le climat est mûr pour la grève générale, mais aussi ceux qui pensent que c’est l’heure du dialogue et même ceux qui travaillent pour la dissolution des partis politiques. Je sais que ces questions seront abordées dans les interventions des membres du conseil national.
Je vais donc axer le reste de mon intervention sur ce que nous avons fait ou tenté de faire depuis notre dernière session du conseil national.
Comme vous le savez, dès le mois de mars dernier nous avons rendu publique lors d’une conférence de presse, une feuille de route qui décline les conditions et les étapes d’une transition démocratique et pacifique. Elle conditionne, dans ses grandes lignes, le retour aux élections par la promulgation d’une nouvelle constitution, d’une nouvelle loi électorale et d’une commission indépendante pour l’organisation de toutes les élections. Nous l’avons fait dans la foulée du 22 février (27 mars) pour dire qu’une issue positive est à portée de main à condition de l’existence d’une volonté politique favorable. Le but étant de lancer le débat sur la solution pour que le mouvement révolutionnaire s’en saisisse comme cap.
Dans la résolution du conseil national du mois de juillet nous écrivions à propos du Pacte pour l’Alternative Démocratique (PAD) : »la direction nationale du RCD … estime que l’élargissement de ce cadre est aujourd’hui un impératif pour aider à donner un cours positif au soulèvement populaire. La transition démocratique est la seule voie pour préparer un environnement institutionnel qui permet l’expression de la souveraineté populaire et entamer le chantier salvateur de la refondation de l’Etat. »
Notre conviction est que l’Algérie démocratique a pris date en février 2019. Mais comme nous l’avons déjà dit, cette trajectoire n’est pas linéaire. La contre révolution qui s’appuie aussi sur des intérêts marginaux dans notre camp peut en retarder l’issue. Dans notre intervention pour rassembler les forces démocratiques afin de peser et hâter les délais de l’avènement d’une véritable refondation de l’Etat, des calculs politiciens ont longtemps bloqué l’offre politique d’une transition consensuelle au motif d’une radicalisation généralement stérile qui cache en fait d’autres agendas. D’autre part, la police politique continue à sponsoriser des initiatives pour battre en brèche toute unité du camp démocratique. Tout en étant le défenseur acharné du pluralisme politique, le RCD estime que l’heure est au rassemblement. La plateforme du 26 juin 2019 proclamé lors de la rencontre tenue au siège du parti est un minima démocratique ouvert à tous.
L’appel aux assises de l’alternative démocratique que nous venons d’adopter avec des partis politiques, des organisations syndicales, des collectifs de la société civile et du mouvement populaire doit être la rampe de lancement pour un rassemblement plus large dans le cadre d’une conférence nationale qui énoncera et codifiera les conditions, les mécanismes et les instruments d’une transition qui déconstruit le système et jettent les bases d’une ère nouvelle.
Chers amis
En vérité, dès le mois de mars, nous avons été la cible de nombreuses attaques à cause de notre refus de nous inscrire dans un agenda clanique. C’est le RCD qui a initié la rencontre des groupes parlementaires de l’opposition pour décider dans un premier temps du gel des activités parlementaires en attendant de convaincre le plus grand nombre pour une action d’une plus grande envergure. Quelques jours après, le clan qui contrôle la présidence fait circuler la rumeur de l’existence d’un plan « de sortie de crise » qui inclut la dissolution de l’APN. Certains ont quitté l’hémicycle pour se repositionner et d’autres ont même commencé la campagne électorale sous les promesses d’un nouveau deal. Le RCD ne peut sacrifier une once de son autonomie pour dévier des principes qui guident notre ligne politique et de l’analyse que font les organes de direction du parti pour décider de notre action.
Le RCD qui a su déjouer bien des manœuvres continue de faire face aux assauts fomentés conjointement par les partisans du « c’est moi ou le chaos » et les éternels agents de la stratégie de la division des acteurs de l’opposition démocratique et de la pollution de tous les espaces qui militent pour la restauration de la souveraineté du peuple.
Grace à l’ensemble du collectif militant, nous avons, durant ces 12 mois de révolution populaire, su nous mettre au diapason de la demande populaire en consacrant nos énergies et nos moyens au service des revendications du mouvement. Ce qui nous vaut l’acharnement du pouvoir de fait et de ses éternels relais. En étant une partie du Hirak, en défendant les détenus-otages par l’engagement de nos cadres avocats et par la présence de nos cadres et militants devant les tribunaux et les prisons ou encore en impulsant une communication et des propositions de solutions et autres offres politiques qui répondent aux attentes populaires, le RCD a déployé une intense énergie. Cette activité dense qui nous a hissé au rang d’un parti national militant pour une sortie de crise salvatrice et réhabilitant l’action et la mission des partis politiques rassure certains et dérange d’autres. Il ne pouvait en être autrement !
Chers amis
Je n’ai pas centré mon discours sur l’actualité institutionnelle. C’est évidement un choix. Le recours à un coup de force, de feu l’ex chef de l’Etat Major de l’Armée, pour pourvoir à la vacance de la fonction de chef de l’Etat est en soi l’aveu que le fossé entre le pouvoir de fait et le peuple est abyssal.
Nous étions de ceux qui ont appelé le peuple algérien à ne pas focaliser les énergies citoyennes sur le simulacre du 12/12 et de se projeter sur l’avenir du mouvement révolutionnaire. Le RCD salue la mobilisation populaire qui a disqualifié cette échéance de l’agenda du commandement militaire et prend acte de l’illégitimité de l’actuel locataire du palais d’El Mouradia pour conduire les destinées du pays.
Aussi, la composante du gouvernement issu de ce coup de force ne trompe pas. La recherche des éternels équilibres claniques et régionalistes dans le vieux sérail signe le décalage avec la contestation populaire. L’ex chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika lui-même aurait apposé son sceau, au bas d’une telle liste, sans rechigner.
Le RCD estime que le pouvoir de fait doit prendre la mesure de la faillite de sa gestion, des revendications populaires et de la réconciliation des Algériens avec leur histoire dans le mouvement révolutionnaire en cours.
Dans le registre des faillites, il y a lieu de noter l’effacement de l’Algérie sur la scène internationale, durant plus de sept ans, sur les principaux dossiers de l’action diplomatique, du fait de l’impotence de l’ancien chef de l’Etat. Ceci a piégé le pays et a laissé des cercles de décisions en faire un sujet de pouvoir en lieu et place d’une question de haut intérêt stratégique.
Dans ce cadre-ci, la crise en Libye renseigne sur l’incompétence et le manque d’ambition du personnel politique en poste habitué à gérer le statu quo. Le dossier du Sahel et de la crise libyenne qui ont occasionné un profond bouleversement géostratégique exigeaient de remettre dans l’urgence l’Algérie au cœur du jeu diplomatique. L’enjeu est de taille d’autant plus que cela se passe au niveau des frontières immédiates du pays et que des forces étrangères telles que l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite ou dernièrement la Turquie y ont élu domicile et pour certains en sous-traitance pour la France et autres coalisés de l’Otan.
Le peuple algérien en lutte ne demande pas aux représentants du pouvoir de fait de faire des mea culpa ou de changer de paradigmes. Il sait que la corruption, les passes droits, le népotisme et le clientélisme sont inhérents au système politique en place. Il est encore temps pour que le pouvoir de fait réalise qu’aucun progrès durable ne peut se faire sans la confiance du peuple et encore moins par des politiques dirigées contre le peuple.
Plus que jamais, le RCD appelle à une transition constituante associant l’ensemble des forces patriotiques pour élaborer ensemble une constitution qui fait écho à l’Histoire et à la mémoire de notre peuple, consacre les droits universels de l’homme et des citoyens, garantit les libertés individuels et collectives, protège la règle du libre choix du peuple et l’alternance démocratique au pouvoir.
Vive le RCD
Vive l’Algérie libre et démocratique
Vive l’Algérie démocratique et sociale
Alger, le samedi 11 janvier 2020.
Mohcine Belabbas, président du RCD